lundi 5 mai 2014

Le progressiste conservateur

Mona Ozouf est une des historiennes les plus talentueuses de sa génération car elle sait associer la rigueur intellectuelle avec un style resserré et clair qui a le don d’enthousiasmer. Ce court essai, consacré à Jules Ferry, se trouve encore une fois d’une lucidité époustouflante. Mona Ozouf dresse un portrait tout en nuance de l’homme politique le plus détesté de son temps, par la droite comme par une partie de la gauche républicaine, Clemenceau en tête.

Ferry était emblématique de ces républicains traumatisés non seulement par la défaite française contre la Prusse en 1870 mais aussi par l’incapacité de la République à s’implanter durablement dans un pays politiquement divisé. Si l’on ajoute à cela ses origines provinciales, et son pragmatisme, on découvre « un homme de la mémoire et de la dette » selon l’auteur, un vrai modéré, hostile à la violence révolutionnaire comme au despotisme populaire, pourfendeur de la tyrannie jacobine fondée sur le mythe de la « table rase » et de l’uniformisation d’un pays pourtant si divers. Loin donc l’image du centralisateur pour qui la République devait nécessairement être une et indivisible.
Fils de la Révolution, anticlérical, disciple d’Auguste Comte, Ferry avait la certitude que la République ne pourrait s’imposer durablement sans une nouvelle Église, l’École, dont le dogme prônait la défense du suffrage universel. À raison aussi, il pressentait que la République ne pouvait conquérir les cœurs des Français sans lier son destin à la grandeur du pays. Clemenceau voulait préparer la revanche, Ferry préféra les colonies. On le lui reproche, on le lui reprocha et il finit par en mourir politiquement.

Que dire encore sinon que ce livre est un modèle d’intelligence historique et de finesse psychologique.

Référence : Mona Ozouf, Jules Ferry. La liberté et la tradition, Paris, Gallimard, 2014.