mardi 27 décembre 2016

Exposition au Louvre : Vermeer et les maîtres de la peinture de genre du 22 février au 22 mai 2017

Depuis 1966, les Français n’ont pas eu l’occasion de contempler d’autres peintures de Vermeer (1632-1675) que les deux tableaux conservés au Louvre, L’Astronome et La Dentellière alors même qu’une véritable « vermeeromania » a fait du petit peintre de Delft, oublié sitôt mort, le producteur d’images universelles, admirées, détournées même par la publicité. Les douze Vermeer, soit un tiers de la production authentifiée de l’artiste, accompagnés de soixante tableaux des plus grands peintres du Siècle d’Or hollandais, présentés au Louvre constituent donc une occasion rare de comprendre notre fascination pour la singularité de cette oeuvre ainsi que la spécificité culturelle des Provinces-Unies, jeune nation calviniste, commerçante et bourgeoise, émancipée tardivement de l’Espagne (1648).
Au milieu du XVIIe siècle, l’enrichissement de l’élite hollandaise, dont les navires parcourent toutes les mers du globe, se donne à voir dans des scènes idéalisées de la vie privée. Souvent à rebours de la peinture d’histoire placée au sommet de la hiérarchie par André Félibien (1667), la peinture hollandaise s’épanouit avec la peinture de genre, menée à son plus haut point de perfection par le talent de peintres qui surent procurer à ces scènes du quotidien une forme d’héroïsme. Mais là où un Gérard Dou, un Gerard ter Borch gardent quelque chose de narratif, Vermeer élève ses compositions jusqu’à une sorte d’éternité silencieuse et recueillie.

Avec sa touche précise, délicate et sa lumière diaphane, il tente de saisir la pureté intérieure de ses personnages donnant à sa peinture un tour moral et philosophique qui était une composante essentielle de la peinture d’histoire. Si Pieter de Hooch, citoyen de Delft résidant à Amsterdam depuis 1660, représente dans La Peseuse d’or (1664) une femme mesurant le poids de pièces d’or et d’argent, la même année, Vermeer, dans une composition sur le même thème, capture quant à lui le moment où la balance trouve son équilibre alors que la scène de Jugement dernier, accrochée sur le mur du fond, crée une association thématique qui invite le spectateur à mener sa vie avec tempérance.

Cette exposition a le bon goût de regrouper les œuvres selon les catégories de la grammaire picturale utilisée par les peintres hollandais (le miroir, la lettre, la servante…) loin des métaphores complexes, tirées de l’Iconologia (1593) de Cesare Ripa et utilisées par la peinture européenne. Cette approche iconologique permet d’apprécier les influences réciproques des peintres hollandais qui dialoguent depuis leurs villes respectives de Leyde, Rotterdam, Amsterdam, Delft ou encore Haarlem. La figure de Vermeer s’écarte quelque peu du mythe construit par son redécouvreur, Théophile Thoré-Bürger (1807-1869) qui, bien dans le goût romantique de l’époque, avait fait du « sphynx de Delft » la figure du génie méconnu et oublié.

Ces peintures de genre racontent la destinée providentielle de ce pays sauvé des eaux, si peu aristocratique, relativement tolérant comme en témoigne le catholicisme de Vermeer. Elles flattent par leur simplicité immédiate notre imaginaire bourgeois parfois hermétique aux complexités culturelles de la peinture savante. L’incompréhension avec la France de Louis XIV ne pouvait être que complète ; la guerre de Hollande (1672-1678) vengea l’arrogance de ces « grenouilles » assises « sur un trône de fromage » comme put l’écrire Claude Saumaise (1650). La famille de Vermeer en sortit ruinée et le peintre, qui n’avait jamais beaucoup vendu, disparut de corps, et, pour longtemps, d’esprit. 

jeudi 22 décembre 2016

Sciences et techniques : la confrontation

L’histoire moderne des sciences et des techniques en France, en Angleterre, aux Pays-Bas, dans les Provinces-Unies et dans la péninsule italienne proposée à la réflexion des candidats aux concours des professeurs du secondaire permet de confronter ces deux domaines historiographiques trop longtemps séparés. En effet, la science moderne, fondée sur l’observation et l’expérience, ne reposait pas seulement sur des abstractions mais aussi sur des techniques à perfectionner ou à inventer. Trois ouvrages collectifs permettent d’approfondir ces liens étroits.
Celui paru dans la collection « Nouvelle clio » réunit une équipe internationale de chercheurs afin de présenter une histoire globale des hybridations techniques. D’abord, une série d’études géographiques sur les transports, le textile, l’imprimerie… tachent d’en finir avec le schéma simplificateur de la supériorité technique de l’Europe. Ensuite, des articles thématiques montrent que le progrès technique ne fut pas linéaire et que partout dans le monde, à l’échelle locale notamment, il y eut des tendances à l’intensification selon des modalités différentes du modèle usinier anglais.
L’ouvrage publié aux Presses universitaires de Rennes se concentre sur l’Europe et aborde en une soixantaine de courts articles les thèmes incontournables pour comprendre le grand basculement rationnel du XVIe siècle. Les acteurs (savants, ingénieurs, cartographes…), les institutions et les sociabilités montrent que le développement technique est certes lié à une innovation mais surtout à un contexte politique et social. Utilement complété par des focus sur des figures, des moments ou des objets, le livre, un peu émietté dans son plan, ne permet cependant pas toujours de saisir les grandes mutations entre 1500 et 1789.
C’est tout l’intérêt du livre publié par les éditions Atlande dont les jeunes auteurs cherchent à offrir non seulement une riche bibliographie à jour, mais aussi une synthèse des grandes questions qui permettent de mieux comprendre, à l’échelle du monde, la singularité technique et scientifique acquise par l’Europe à la fin du XVIIIe siècle. 





Références : 
Camille Blachère, Benjamin Deruelle, Aurélien Ruellet, Pierre Teissier, Sciences, techniques, pouvoirs et sociétés, 1500-1789, Neuilly, Atlande, 2016.
Guillaume Carnino, Liliane Hilaire-Pérez, Alksandra Kobiljski, Histoire des techniques. Mondes, sociétés, cultures (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, PUF,  2016.
Liliane Hilaire-Pérez, Fabien Simon et Marie Thébaud-Sorger, L’Europe des sciences et des techniques. Un dialogue des savoirs, XVe-XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2016.

samedi 26 novembre 2016

La famille recomposée

En 1651, Marguerite Piplier accoucha d’un enfant qu’elle fit baptiser comme le fils de son amant, et obtint d’un tribunal ecclésiastique la rupture de son mariage. Mais une procédure intentée par la famille de l’amant devant un tribunal royal la condamna à retourner avec son mari qui dût accepter d’élever l’enfant au nom de la présomption de paternité. Ces affaires judiciaires exploitées avec une grande finesse par Sylvie Steinberg, directrice d’études à l’EHESS, lui permettent non seulement de comprendre la position sociale des enfants nés hors mariage mais surtout de jeter un regard neuf sur le fonctionnement des familles de l’Ancien Régime.
D’une manière générale, les tribunaux royaux, contre l’Eglise, considéraient que le lien naturel était supérieur à l’alliance, interdisant aux parents de renier leur progéniture, tout en les laissant libres de sa plus ou moins grande intégration dans la famille. La bâtardise nobiliaire montre à quel point l’État s’immisça dans l’ordre des familles. Après 1600 en effet, les bâtards nobles durent solliciter des lettres du roi pour garder leur noblesse.

Ce livre fin et incarné nous rappelle que dans la France d’hier la famille reposait sur un ordre naturel déjà difficilement défendable.

Référence : Sylvie Steinberg, Une tache au front, Paris, Albin Michel, 2016

dimanche 6 novembre 2016

La France est un bloc


Depuis l’affaire du voile des collégiennes de Montfermeil en 1992, la France fait face au retour du religieux en questionnant, peut-être plus que toute autre nation, non pas tant le principe de tolérance, que les frontières de la tolérance. D’où vient cette sensibilité particulière des Français attachés à l’expression discrète des identités, notamment religieuses ? C’est la question posée par Denis Lacorne, directeur de recherche à Sciences-Po Paris, dans un bel essai qui historicise la notion de tolérance.
Contre les Églises, les penseurs du libéralisme réussirent à faire de l’acceptation de la différence une valeur positive autorisant le libre exercice de la liberté de conscience, de culte, ou d’expression. Au grand dam des plus intolérants, l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme fit de la foi une opinion comme une autre.

L’auteur montre que la limite entre ce qui est accepté et ce qui ne l’est pas dépend toujours d’un contexte historique précis. Les pages consacrées à la fatwa de Salman Rushdie sur fond de rivalité entre les Saoudiens et les Iraniens sont éclairantes. Pour la France, les choses s’expliquent assez bien par une mystique de l’unité et de l’indivisibilité. La France se conçoit comme un bloc avec tout ce que cela peut avoir de généreux et en même temps d’étouffant.

Référence : Denis Lacorne, Les Frontières de la tolérance, Paris, Gallimard, 2016.

vendredi 7 octobre 2016

Chacun à sa place!

Dès son premier livre consacré aux reines de France, Fanny Cosandey, maître de conférences à l’EHESS, a privilégié les sources normatives au détriment des sources du quotidien (correspondances, Mémoires…). Dans son dernier ouvrage, elle poursuit cette veine afin d’analyser les tensions autour du cérémonial de cour à l’époque moderne toujours plus perfectionné à mesure que le souverain proclamait sa toute-puissance. Il en ressort de judicieuses réflexions sur la cour royale formée par une élite dont la légitimité reposait sur un principe hiérarchique strict.
L’auteur montre bien que derrière l’ordre construit par le cérémonial, se jouait une lutte d’honneur féroce entre les différentes maisons aristocratiques afin de faire reconnaître leur juste place auprès du souverain. Cependant, la démonstration perd un peu de sa force à cause d’une analyse qui reste très théorique, alors que cette société curiale fut aussi le lieu des désirs les plus violents et des haines les plus tenaces.

Référence : Fanny Cosandey, Le RangPréséances et hiérarchies dans la France d’Ancien Régime, Paris, Gallimard, 2016.

samedi 17 septembre 2016

Charles Quint et son double

Denis Crouzet, professeur à l’université Paris IV, spécialiste mondialement reconnu des violences religieuses et des peurs eschatologiques du XVIe siècle, est parfois critiqué à cause de l’objectif assez peu positiviste qu’il assigne à la discipline historique : chercher les causes des événements dans les ressorts psychiques des acteurs.
Son dernier ouvrage consacré à Charles Quint (1500-1558) était donc très attendu car il s’agit ni plus ni moins de s’attaquer à la figure politique la plus marquante de la Renaissance, l’empereur qui dut faire face à la sécession religieuse et politique des Réformés. Grâce à une attention particulière aux mots, aux gestes, aux silences, n’hésitant pas à des rapprochements parfois inattendus avec des cas cliniques étudiés par Freud, l’auteur décortique l’âme conflictuelle de Charles Quint, déchirée entre sa volonté d’incarner les vertus chrétiennes et ses devoirs de prince qui le poussaient chaque jour davantage vers la répression violente de l’hérésie.
Cette véritable « névrose de l’imperium », manifestée théâtralement par une syncope en 1519, et d’une manière plus insidieuse par une angoisse latente, trouva une sorte d’apaisement avec la victoire de Mühlberg (1547). Titien, érigé en psychologue pictural, représente, sur son tableau du Prado, un empereur chevauchant vers une aube, signe de la victoire du bien sur le mal. Mais la surenchère des Réformés, convaincus comme Charles Quint de l’imminence du Jugement dernier, l’obligea à abandonner la voie de la conciliation pour celle de la guerre.

Sur celui qui avait voulu restaurer l’unité de la chrétienté, pesa alors le lourd soupçon d’avoir aggravé les divisions. Perclus de remords, il n’eut que l’abdication (1555) et le silence du monastère de Yuste pour se réconcilier avec lui-même. Même si ce livre est moins une biographie qu’un essai focalisé sur les dix dernières années de la vie de l’empereur, s’il peut déconcerter le lecteur à cause d’une langue ornée et les méandres de la réflexion, il n’en reste pas moins un ouvrage d’une perspicacité étonnante sur les complexités de l’âme humaine.

Titre : Denis Crouzet, Charles Quint. Empereur d’une fin des temps, Paris, Odile Jacob, 2016.

lundi 27 juin 2016

L'origine de l'Etat moderne

Professeur à l’université Paris IV, Olivier Chaline met à la disposition du public son cours consacré aux armées de la monarchie d’Ancien Régime. Il n’y est pas tant question d’opérations militaires que de logistique, d’ « histoire bataille » que de l’œuvre administrative la plus considérable de l’époque moderne qui contribua à engendrer l’État.
L’organisation de l’armée et de la marine, le ravitaillement, le recrutement des troupes, le financement mais aussi la direction de la guerre sont au cœur de cet ouvrage au plan suffisamment clair pour servir d’outil de travail aux étudiants et de point d’entrée aux amateurs afin d’embrasser la multitude d’études novatrices consacrées à cette question depuis plus de vingt ans.

Cet ouvrage de synthèse articule les grandes perspectives et les mises au point érudites et met judicieusement en relief le cas français par des exemples étrangers. Un bel hommage donc est rendu aux historiens précurseurs sur cette question que ce soit John Lynn, David Parrott ou encore Joël Cornette.

Référence : Olivier Chaline, Les armées du roi. Le grand chantier XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2016.

Danton ou l'énergie révolutionnaire

Après une relative éclipse, les grandes figures révolutionnaires reviennent au-devant de la scène éditoriale. À la suite de son ouvrage consacré à Robespierre, Henri Leuwers, professeur à l’université Lille-III, dirige en compagnie de Michel Biard, un ouvrage collectif consacré à Danton (1759-1794).
Les contributions, d’égale qualité et très bien articulées entre elles, redonnent toute sa complexité à ce tribun hors pair, apôtre de l’énergie révolutionnaire. Haim Burstin, notamment, met en lumière les stratégies de Danton, enfant gâté de l’Ancien Régime avec sa charge d’avocat aux Conseils du roi, pour se reclasser dans la nouvelle société révolutionnaire.
Ce travail est heureusement complété par le livre inspiré de Martine Lecoq, journaliste, qui tente une troisième voie entre l’érudition universitaire et le roman historique qu’elle abhorre. Dans sa préface, Mona Ozouf souligne l’originalité de ce texte qui s’attache aux gestes, au corps et refuse de simplifier la personnalité ambivalente de celui qui fut à la fois doux et impitoyable, violent et bon amant.

Ces deux ouvrages donnent tout son relief à la carrière météorique de Danton et perturbent à bon profit nos catégories souvent trop tranchées des acteurs et des événements révolutionnaires.



Références : Michel Biard et Hervé Leuwers, Danton. Le mythe et l’histoire, Paris, Armand Colin, 2016 et Martine Lecoq, Danton, Paris, Van Dieren Éditeur, 2016. 

mardi 10 mai 2016

Les habitants

Vu aujourd’hui Les Habitants  de Depardon à la séance de 16h00 dans un petit cinéma de St-Germain. J’ai dû batailler contre ma gêne d’aller voir un film à cette heure au lieu de travailler, de corriger, d’écrire… S’il y a une chose qui m’intéresse c’est bien ces plans-séquences sur des Français qui parlent dans les coins les plus éloignés du territoire. Dans la cascade de mots, souvent chahutés, mais pas tant que cela, on aime entendre la langue française porter la vie des gens. Rien de bien sophistiquée  en fait : pas de politique, pas de théories, juste des mots pour dire le plaisir d’être ensemble : des souvenirs, des difficultés amoureuses, la peur de l’avenir, de la mort surtout chez ces grands-mères qui veulent extirper des petits-enfants à leurs enfants car elles se sentent inutiles, de l’espoir chez les jeunes qui veulent croire en la vie même quand cette vie est faite de maltraitance, d’abandon, d’échec, de négation. Les phantasmes à peine refoulés des femmes affleurent en permanence « Tu vas m’engrosser. Alors avant, je veux la robe blanche » et à l’esprit à nouveau mon idée de faire un grand reportage sur la sexualité des femmes intitulé : que veulent les femmes ? Des conneries énormes : « Mais le Coran ça fait 1400 ans qu’il est là alors que les cathos, leur pape peut changer la Bible ». Le désordre des pensées et des âmes : beaucoup de femmes séparées, des enfants qui vivent ici ou là, des hommes à la frontière de la délinquance, des femmes à la frontière de la prostitution, des vieux qui ne reconnaissent plus cette France trop black, trop arabe. Il faut dire que cela ne choque pas le réalisateur de laisser dans son film le témoignage d’un couple qui va se marier à la mosquée avant de passer à la Mairie. Inquiétude personnelle, crainte de voir ma France – avec tout ce que cette expression peut avoir de factice et de trop poétique – se perdre dans un sabir qui ne veut rien dire, dans la barbarie, la laideur, un ailleurs qui ne serait plus chez moi. Et le témoignage de cette vieille de Villeneuve qui dit à une copine qu’elle ne se sent plus chez elle me désole. La copine est mongolienne et semble être un prétexte pour cette femme abandonnée qui aime sa langue et cache mal son goût du théâtre. Cette mongolienne est sans doute la seule capable de supporter ces propos durs sur le monde qui change, la France qui s’islamise, la pauvreté qui gagne. Souvent on se demande si les gens discutent ou parlent car, comme le dit un homme, « on est toujours seul ». En même temps, le film est trop statique, ne filme pas assez les paysages, et surtout malmène le territoire car M. Depardon la France a un sens et on ne peut pas faire n’importe quoi avec elle. On ne peut pas rencontrer des Niçois et nous montrer ensuite le passage du massif de l’Estérel d’ouest en est. On ne sait pas assez où l’on est même si on goûte avec délice le voyant breton qui exige de sa compagne qu’elle dorme avec lui et ne s’échappe plus la nuit vers un autre lit. Passion pour les Français, pour ce territoire, les géographies intimes et spatiales. Bonheur d’entendre ces deux jeunes du Nord avec leur langue rocailleuse ponctuée de « Tu vois » dire qu’à Frethun c’est vraiment des malades mais qu’à Calais les « gars » sont plus civilisés. Grandeur et misère, tout est là, surtout la misère quand on écoute ce jeune bellâtre con comme ses pieds qui demande à sa copine d’avorter car quand on n’a pas le permis on ne peut pas avoir d’enfant et encore à ce couillon du sud-ouest (il est sur la photo) qui veut être psychologue parce que - en fait on ne sait pas. Ces deux crétins aussi qui disent que les femmes cherchent la « bite » même si je crois que Freud aurait été d'accord tout en corrigeant le mot "bite" par phallus. Les femmes sortent d’ailleurs grandies de ce reportage : plus fortes, plus droites mais tout aussi perdues que les hommes. C’est l’histoire de mon pays, une alchimie étrange faite de routes bordées de platanes, de ciels bas et lourds, du bleu de l’azur, de préfectures, du général De Gaulle, qui est la seule figure historique à être citée et encore pour dire qu’on a dû allonger le lit quand il est venu dormir à Bar-le-Duc, d’hommes et de femmes qui essayent de rester dignes autant qu’ils le peuvent, vivent aussi intensément que possible la vie au risque de verser dans la tragédie ou le mauvais boulevard, des hommes et des femmes qui témoignent de leur joie d’être ensemble. C’est la France brinquebalante à l’heure de la mondialisation, la France éternelle des destins chaotiques. 

samedi 23 avril 2016

La Grande Nation

Au moment où la démocratie brésilienne est affaiblie par la déstabilisation  de la présidente Dilma Rousseff qui évoque une menace de coup d’État, il n’est pas inutile de revenir sur l’histoire mouvementée du Brésil grâce au livre de Michel Faure, journaliste, qui a su se faire historien.
Cette synthèse, claire et informée, souligne la spécificité d’un pays qui a emprunté autant à l’Europe qu’aux Etats-Unis. Dernier pays esclavagiste (1888), dernière monarchie du continent (1889), tenté par le fascisme avec un temps de retard, toujours au diapason des problèmes politiques occidentaux, le pays, qui a été régulièrement sous la coupe des militaires, a su garder son unité.
Ancienne colonie portugaise qui n’a pas eu besoin de mener une guerre de décolonisation, le Brésil a créé une société métissée sans pour autant éliminer tous les clivages raciaux. Même si le livre passe un peu vite sur les dimensions sociales et culturelles du peuple brésilien, il demeure une bonne introduction à l’univers de ce pays-continent. 

Référence : Michel Faure, Une histoire du Brésil, Paris, Perrin, 2015, 446 p.

samedi 16 avril 2016

Ils ont fait la Fronde★★

En dépit d’un titre un peu vague, le dernier livre de Jean-Marie Constant,  ancien professeur de l’université du Maine, mérite qu’on s’y arrête. Son style, aussi clair que ses idées, permet de donner sens à l’une des périodes les plus confuses du XVIIe siècle : la Fronde. Loin d’obscurcir son ouvrage en suivant pas à pas les événements, il épouse le point de vue des acteurs.

Au fait des travaux les plus récents, cet ouvrage met en lumière les multiples failles des élites françaises. Même si elles sont étroitement liées, les officiers tâchent de mettre un terme  au régime d’exception qui permet à la France de soutenir l’effort de guerre tandis que les nobles sont partagés entre leur désir de renforcer l’absolutisme, à l’image de Condé, ou d’opposition à cette évolution comme Gaston d’Orléans.

Faut-il voir dans la Fronde l’ultime épisode d’un héroïsme baroque ? L’auteur le pense avec raison même si c’est  aussi la victoire d’un système fiscal qui n’a jamais été aussi prédateur. Mazarin, avant d’être le favori de la reine, est d’abord  sa meilleure caution. 

Référence : Jean-Marie Constant, C’était la Fronde, Paris, Flammarion, 2015.

dimanche 3 avril 2016

Au prisme de l'autre


En 1610, à la cour de Jahangir, l’empereur Moghol, le jésuite Francesco Corsi déclara qu’aucun homme doué d’intelligence n’accepterait la foi mahométane. De son côté, le savant ‘Abdus Sattar lui manifesta son étonnement devant le Dieu des chrétiens incarné dans un homme qui reçut 5 000 coups de fouet et peut-être autant de crachats.
Dans ce livre foisonnant et un peu déconcertant à cause de son découpage en trois longs chapitres, Sanjay Subrahmanyam, professeur invité au Collège de France et figure marquante de l’histoire-monde, nous plonge au cœur des cours rivales dans l’Inde du XVIe siècle.
Sa manière virtuose de croiser les sources persanes et portugaises, notamment, lui permet de s’opposer à l’idée d’une incompréhension totale (« incommensurabilité ») entre des espaces culturels mis en contact par l’arrivée des Occidentaux, la guerre, la diplomatie mais aussi les influences réciproques dans la production artistique.

Même si l’histoire nationale est disqualifiée un peu vite, cette étude au prisme de l’autre, permet de saisir plus finement la pluralité des dynamiques des mondes modernes.

Référence : Sanjay Subrahmanyam, L'éléphant, le canon et le pinceau. Histoire connectée des cours d'Europe et d'Asie, Paris, Alma, 2016, 369 p.

vendredi 25 mars 2016

Impossible Bourgogne


En novembre 1473, les cavaliers de Charles le Téméraire tentèrent de retenir l’empereur Frédéric III afin de lui extirper un titre royal pour leur maître, le « Grand Duc d’Occident ». En vain ! Le rêve de transformer cet ensemble disparate de villes et de principautés situées entre Frise et Bourgogne en royaume finit aussi piteusement que le duc lui-même en 1477.
Cet épisode est l’occasion de revenir sur cette « Grande principauté de Bourgogne » qui, à la différence de l’Angleterre et de la France, ne réussit pas à se constituer en État faute d’une langue unique, d’une capitale, mais surtout faute d’envie de ses ducs qui se considéraient d’abord comme des princes français. Charles joua la rupture mais sans doute un peu tard alors que l’administration fiscale avait démultiplié la puissance de son voisin Louis XI
Ce travail universitaire remanié offre donc  un contrepoint salutaire à une histoire de l’État territorial trop souvent présenté en France comme la forme achevée de la communauté politique.

Référence : Élodie Lecuppre-Desjardin,  Le Royaume inachevé des ducs de Bourgogne (XIVe-XVe siècles), Paris, Belin, 2016.

lundi 14 mars 2016

Chut !



Pour Alain Corbin, l’histoire fut toujours l’occasion de toutes les audaces. Historien des perceptions, des odeurs, du corps, des désirs, il a emprunté, il y a plus de quarante ans, une voie originale qui a transformé les manières de faire et d’écrire l’histoire. Son Histoire du silence parachève cette œuvre  même si le livre n’a pas la densité des précédents.
De citations littéraires en aphorismes d’hommes d’Église, de peintures en sources d’archive (malheureusement trop rares), l’auteur tente de cerner la pluralité des silences. Le silence de la mort n’est pas celui du recueillement et encore moins le silence de la création. Au silence de la nature répond le silence de l’âme qui s’élève vers Dieu. Plus que les livres, les peintures savent exprimer la profondeur du silence ou, pour reprendre les mots de Claudel à propos d’une toile de Vermeer, d’être : « toute remplie de ce silence de l’heure qu’il est ».
Règle d’or de l’homme de cour au XVIIe siècle, les exigences du silence changent au fil du temps, notamment au XIXe siècle qui marque une rupture saisissante : les organes du corps humains sont condamnés au silence tandis que le fracas des machines tisse la trame sonore des villes. Aspirer au silence constitue alors une aspiration profonde, mais souvent désespérée, à l’exemple de Baudelaire qui se désole « de ne pouvoir être seul ».
Ce livre est une formidable méditation, offrant un judicieux contrepoint à notre monde où le triomphe du bruit tente de combler la solitude de l’homme moderne.

Référence :
Alain Corbin, Histoire du silence, Paris, Albin Michel, 2016.