vendredi 25 mars 2016

Impossible Bourgogne


En novembre 1473, les cavaliers de Charles le Téméraire tentèrent de retenir l’empereur Frédéric III afin de lui extirper un titre royal pour leur maître, le « Grand Duc d’Occident ». En vain ! Le rêve de transformer cet ensemble disparate de villes et de principautés situées entre Frise et Bourgogne en royaume finit aussi piteusement que le duc lui-même en 1477.
Cet épisode est l’occasion de revenir sur cette « Grande principauté de Bourgogne » qui, à la différence de l’Angleterre et de la France, ne réussit pas à se constituer en État faute d’une langue unique, d’une capitale, mais surtout faute d’envie de ses ducs qui se considéraient d’abord comme des princes français. Charles joua la rupture mais sans doute un peu tard alors que l’administration fiscale avait démultiplié la puissance de son voisin Louis XI
Ce travail universitaire remanié offre donc  un contrepoint salutaire à une histoire de l’État territorial trop souvent présenté en France comme la forme achevée de la communauté politique.

Référence : Élodie Lecuppre-Desjardin,  Le Royaume inachevé des ducs de Bourgogne (XIVe-XVe siècles), Paris, Belin, 2016.

lundi 14 mars 2016

Chut !



Pour Alain Corbin, l’histoire fut toujours l’occasion de toutes les audaces. Historien des perceptions, des odeurs, du corps, des désirs, il a emprunté, il y a plus de quarante ans, une voie originale qui a transformé les manières de faire et d’écrire l’histoire. Son Histoire du silence parachève cette œuvre  même si le livre n’a pas la densité des précédents.
De citations littéraires en aphorismes d’hommes d’Église, de peintures en sources d’archive (malheureusement trop rares), l’auteur tente de cerner la pluralité des silences. Le silence de la mort n’est pas celui du recueillement et encore moins le silence de la création. Au silence de la nature répond le silence de l’âme qui s’élève vers Dieu. Plus que les livres, les peintures savent exprimer la profondeur du silence ou, pour reprendre les mots de Claudel à propos d’une toile de Vermeer, d’être : « toute remplie de ce silence de l’heure qu’il est ».
Règle d’or de l’homme de cour au XVIIe siècle, les exigences du silence changent au fil du temps, notamment au XIXe siècle qui marque une rupture saisissante : les organes du corps humains sont condamnés au silence tandis que le fracas des machines tisse la trame sonore des villes. Aspirer au silence constitue alors une aspiration profonde, mais souvent désespérée, à l’exemple de Baudelaire qui se désole « de ne pouvoir être seul ».
Ce livre est une formidable méditation, offrant un judicieux contrepoint à notre monde où le triomphe du bruit tente de combler la solitude de l’homme moderne.

Référence :
Alain Corbin, Histoire du silence, Paris, Albin Michel, 2016.