Denis Crouzet, professeur à
l’université Paris IV, spécialiste mondialement reconnu des violences
religieuses et des peurs eschatologiques du XVIe siècle, est parfois
critiqué à cause de l’objectif assez peu positiviste qu’il assigne à la
discipline historique : chercher les causes des événements dans les
ressorts psychiques des acteurs.
Son dernier ouvrage consacré à Charles
Quint (1500-1558) était donc très attendu car il s’agit ni plus ni moins de
s’attaquer à la figure politique la plus marquante de la Renaissance,
l’empereur qui dut faire face à la sécession religieuse et politique des
Réformés. Grâce à une attention particulière aux mots, aux gestes, aux
silences, n’hésitant pas à des rapprochements parfois inattendus avec des cas
cliniques étudiés par Freud, l’auteur décortique l’âme conflictuelle de Charles
Quint, déchirée entre sa volonté d’incarner les vertus chrétiennes et ses
devoirs de prince qui le poussaient chaque jour davantage vers la répression violente
de l’hérésie.
Cette véritable « névrose de
l’imperium », manifestée théâtralement par une syncope en 1519, et d’une
manière plus insidieuse par une angoisse latente, trouva une sorte d’apaisement
avec la victoire de Mühlberg (1547). Titien, érigé en psychologue pictural, représente,
sur son tableau du Prado, un empereur chevauchant vers une aube, signe de la
victoire du bien sur le mal. Mais la surenchère des Réformés, convaincus comme
Charles Quint de l’imminence du Jugement dernier, l’obligea à abandonner la
voie de la conciliation pour celle de la guerre.
Sur celui qui avait voulu
restaurer l’unité de la chrétienté, pesa alors le lourd soupçon d’avoir aggravé
les divisions. Perclus de remords, il n’eut que l’abdication (1555) et le
silence du monastère de Yuste pour se réconcilier avec lui-même. Même si ce
livre est moins une biographie qu’un essai focalisé sur les dix dernières années
de la vie de l’empereur, s’il peut déconcerter le lecteur à cause d’une langue
ornée et les méandres de la réflexion, il n’en reste pas moins un ouvrage d’une
perspicacité étonnante sur les complexités de l’âme humaine.
Titre : Denis Crouzet, Charles Quint. Empereur d’une fin des temps, Paris, Odile Jacob, 2016.