Mona Ozouf est une des historiennes
les plus talentueuses de sa génération car elle sait associer la rigueur
intellectuelle avec un style resserré et clair qui a le don d’enthousiasmer. Ce
court essai, consacré à Jules Ferry, se trouve encore une fois d’une lucidité
époustouflante. Mona Ozouf dresse un portrait tout en nuance de l’homme
politique le plus détesté de son temps, par la droite comme par une partie de
la gauche républicaine, Clemenceau en tête.
Ferry était emblématique de ces
républicains traumatisés non seulement par la défaite française contre la
Prusse en 1870 mais aussi par l’incapacité de la République à s’implanter
durablement dans un pays politiquement divisé. Si l’on ajoute à cela ses
origines provinciales, et son pragmatisme, on découvre « un homme de la
mémoire et de la dette » selon l’auteur, un vrai modéré, hostile à la
violence révolutionnaire comme au despotisme populaire, pourfendeur de la tyrannie
jacobine fondée sur le mythe de la « table rase » et de
l’uniformisation d’un pays pourtant si divers. Loin donc l’image du
centralisateur pour qui la République devait nécessairement être une et
indivisible.
Fils de la Révolution, anticlérical,
disciple d’Auguste Comte, Ferry avait la certitude que la République ne
pourrait s’imposer durablement sans une nouvelle Église, l’École, dont le dogme
prônait la défense du suffrage universel. À raison aussi, il pressentait que la
République ne pouvait conquérir les cœurs des Français sans lier son destin à
la grandeur du pays. Clemenceau voulait préparer la revanche, Ferry préféra les
colonies. On le lui reproche, on le lui reprocha et il finit par en mourir
politiquement.
Que dire encore sinon que ce
livre est un modèle d’intelligence historique et de finesse psychologique.
Référence : Mona Ozouf, Jules
Ferry. La liberté et la tradition, Paris, Gallimard, 2014.
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