Vu
aujourd’hui Les Habitants de Depardon à la séance de 16h00 dans un petit
cinéma de St-Germain. J’ai dû batailler contre ma gêne d’aller voir un film à
cette heure au lieu de travailler, de corriger, d’écrire… S’il y a une chose
qui m’intéresse c’est bien ces plans-séquences sur des Français qui
parlent dans les coins les plus éloignés du territoire. Dans la cascade de
mots, souvent chahutés, mais pas tant que cela, on aime entendre la langue
française porter la vie des gens. Rien de bien sophistiquée en fait : pas de politique, pas de
théories, juste des mots pour dire le plaisir d’être ensemble : des
souvenirs, des difficultés amoureuses, la peur de l’avenir, de la mort surtout
chez ces grands-mères qui veulent extirper des petits-enfants à leurs enfants
car elles se sentent inutiles, de l’espoir chez les jeunes qui veulent croire
en la vie même quand cette vie est faite de maltraitance, d’abandon, d’échec,
de négation. Les phantasmes à peine refoulés des femmes affleurent en
permanence « Tu vas m’engrosser. Alors avant, je veux la robe blanche »
et à l’esprit à nouveau mon idée de faire un grand reportage sur la sexualité
des femmes intitulé : que veulent les femmes ? Des conneries
énormes : « Mais le Coran ça fait 1400 ans qu’il est là alors que les
cathos, leur pape peut changer la Bible ». Le désordre des pensées et des
âmes : beaucoup de femmes séparées, des enfants qui vivent ici ou là, des
hommes à la frontière de la délinquance, des femmes à la frontière de la
prostitution, des vieux qui ne reconnaissent plus cette France trop black, trop
arabe. Il faut dire que cela ne choque pas le réalisateur de laisser dans son
film le témoignage d’un couple qui va se marier à la mosquée avant de passer à
la Mairie. Inquiétude personnelle, crainte de voir ma France – avec tout ce que
cette expression peut avoir de factice et de trop poétique – se perdre dans un
sabir qui ne veut rien dire, dans la barbarie, la laideur, un ailleurs qui ne
serait plus chez moi. Et le témoignage de cette vieille de Villeneuve qui dit à
une copine qu’elle ne se sent plus chez elle me désole. La copine est
mongolienne et semble être un prétexte pour cette femme abandonnée qui aime sa
langue et cache mal son goût du théâtre. Cette mongolienne est sans doute la
seule capable de supporter ces propos durs sur le monde qui change, la France
qui s’islamise, la pauvreté qui gagne. Souvent on se demande si les gens
discutent ou parlent car, comme le dit un homme, « on est toujours
seul ». En même temps, le film est trop statique, ne filme pas assez les
paysages, et surtout malmène le territoire car M. Depardon la France a un sens
et on ne peut pas faire n’importe quoi avec elle. On ne peut pas rencontrer des
Niçois et nous montrer ensuite le passage du massif de l’Estérel d’ouest en
est. On ne sait pas assez où l’on est même si on goûte avec délice le voyant
breton qui exige de sa compagne qu’elle dorme avec lui et ne s’échappe plus la
nuit vers un autre lit. Passion pour les Français, pour ce territoire, les
géographies intimes et spatiales. Bonheur d’entendre ces deux jeunes du Nord
avec leur langue rocailleuse ponctuée de « Tu vois » dire qu’à
Frethun c’est vraiment des malades mais qu’à Calais les « gars » sont
plus civilisés. Grandeur et misère, tout est là, surtout la misère quand on
écoute ce jeune bellâtre con comme ses pieds qui demande à sa copine d’avorter
car quand on n’a pas le permis on ne peut pas avoir d’enfant et encore à ce
couillon du sud-ouest (il est sur la photo) qui veut être psychologue parce que - en fait on ne sait
pas. Ces deux crétins aussi qui disent que les femmes cherchent la
« bite » même si je crois que Freud aurait été d'accord tout en corrigeant le mot "bite" par phallus. Les femmes sortent d’ailleurs grandies de ce reportage :
plus fortes, plus droites mais tout aussi perdues que les hommes. C’est
l’histoire de mon pays, une alchimie étrange faite de routes bordées de
platanes, de ciels bas et lourds, du bleu de l’azur, de préfectures, du général
De Gaulle, qui est la seule figure historique à être citée et encore pour dire
qu’on a dû allonger le lit quand il est venu dormir à Bar-le-Duc, d’hommes et
de femmes qui essayent de rester dignes autant qu’ils le peuvent, vivent aussi
intensément que possible la vie au risque de verser dans la tragédie ou le
mauvais boulevard, des hommes et des femmes qui témoignent de leur joie d’être
ensemble. C’est la France brinquebalante à l’heure de la mondialisation, la
France éternelle des destins chaotiques.
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