Depuis 1966,
les Français n’ont pas eu l’occasion de contempler d’autres peintures de
Vermeer (1632-1675) que les deux tableaux conservés au Louvre, L’Astronome et La Dentellière alors même qu’une véritable « vermeeromania »
a fait du petit peintre de Delft, oublié sitôt mort, le producteur d’images
universelles, admirées, détournées même par la publicité. Les douze Vermeer,
soit un tiers de la production authentifiée de l’artiste, accompagnés de
soixante tableaux des plus grands peintres du Siècle d’Or hollandais, présentés
au Louvre constituent donc une occasion rare de comprendre notre fascination
pour la singularité de cette oeuvre ainsi que la spécificité culturelle des
Provinces-Unies, jeune nation calviniste, commerçante et bourgeoise, émancipée tardivement
de l’Espagne (1648).
Au milieu du
XVIIe siècle, l’enrichissement de l’élite hollandaise, dont les
navires parcourent toutes les mers du globe, se donne à voir dans des
scènes idéalisées de la vie privée. Souvent à rebours de la peinture d’histoire
placée au sommet de la hiérarchie par André Félibien (1667), la peinture
hollandaise s’épanouit avec la peinture de genre, menée à son plus haut point de
perfection par le talent de peintres qui surent procurer à ces scènes du
quotidien une forme d’héroïsme. Mais là où un Gérard Dou, un Gerard ter Borch
gardent quelque chose de narratif, Vermeer élève ses compositions jusqu’à une
sorte d’éternité silencieuse et recueillie.
Avec sa touche
précise, délicate et sa lumière diaphane, il tente de saisir la pureté
intérieure de ses personnages donnant à sa peinture un tour moral et
philosophique qui était une composante essentielle de la peinture d’histoire. Si
Pieter de Hooch, citoyen de Delft résidant à Amsterdam depuis 1660, représente
dans La Peseuse d’or (1664) une femme
mesurant le poids de pièces d’or et d’argent, la même année, Vermeer, dans une
composition sur le même thème, capture quant à lui le moment où la balance
trouve son équilibre alors que la scène de Jugement
dernier, accrochée sur le mur du fond, crée une association thématique qui
invite le spectateur à mener sa vie avec tempérance.
Cette
exposition a le bon goût de regrouper les œuvres selon les catégories de la
grammaire picturale utilisée par les peintres hollandais (le miroir, la
lettre, la servante…) loin des métaphores complexes, tirées de l’Iconologia (1593) de Cesare Ripa et utilisées
par la peinture européenne. Cette approche iconologique permet d’apprécier les
influences réciproques des peintres hollandais qui dialoguent depuis leurs
villes respectives de Leyde, Rotterdam, Amsterdam, Delft ou encore Haarlem. La
figure de Vermeer s’écarte quelque peu du mythe construit par son redécouvreur, Théophile
Thoré-Bürger (1807-1869) qui, bien dans le goût romantique de l’époque, avait fait du
« sphynx de Delft » la figure du génie méconnu et oublié.
Ces peintures
de genre racontent la destinée providentielle de ce pays sauvé des eaux, si peu
aristocratique, relativement tolérant comme en témoigne le catholicisme de Vermeer.
Elles flattent par leur simplicité immédiate notre imaginaire bourgeois parfois
hermétique aux complexités culturelles de la peinture savante. L’incompréhension
avec la France de Louis XIV ne pouvait être que complète ; la guerre de
Hollande (1672-1678) vengea l’arrogance de ces « grenouilles » assises
« sur un trône de fromage » comme put l’écrire Claude Saumaise
(1650). La famille de Vermeer en sortit ruinée et le peintre, qui n’avait
jamais beaucoup vendu, disparut de corps, et, pour longtemps, d’esprit.
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