Comme à son habitude, dans son
dernier livre consacré à la journée des Dupes (10-11 novembre 1630), Christian
Jouhaud refuse d’être joué par les sources historiques ; il critique non
seulement la tentation d’écrire l’histoire comme un « récit vrai »,
mais aussi l’engouement des historiens pour l’événement pensé comme une unité
de temps, de lieu et d’action. S’il croit en sa pertinence à la différence de
Braudel, il attire cependant notre attention sur sa fabrication par les textes.
Se contenter de compiler ces
derniers fait courir au mieux le risque de la répétition, au pire d’une
histoire asservie par la vision des vainqueurs. Écrire n’est pas un acte banal
nous dit Jouhaud. Écrire, c’est prendre possession de l’événement, le déformer
d’une manière suffisamment intelligente pour préserver son caractère objectif.
C’est donc avec ce sentiment de la perte irrémédiable de la vérité historique,
que l’auteur reprend le volumineux dossier de sources autour de cette journée
qui fit la France et surtout qui installa Richelieu au cœur de la faveur royale
en marginalisant les partisans d’une alliance avec l’Espagne, Marie de Médicis la
première.
À l’aide d’un contextualisation
très fine, on comprend que chaque texte porte une pensée, mais aussi des
arrière-pensées, tournées vers une action contemporaine à leur écriture.
Richelieu mit ainsi en place une véritable stratégie de persuasion pour
subvertir la légitimité de ses ennemis. Ces postures d’énonciation, jamais loin
de l’imposture, dilatent ainsi l’événement
sur plusieurs semaines à mesure que les pamphlets, les livres, les
mémoires sont diffusés dans l’espace public. Le Mercure français, l’un des premiers périodiques, derrière un récit
apparemment objectif des faits,
incorpore un schéma d’interprétation de l’histoire qui est, dès lors,
présentée comme fatidique.
Véritable plongée dans le travail
de l’historien, ce livre rompt avec la linéarité du récit, préférant donner à l’histoire
un caractère certes plus cubiste mais qui sait se déjouer des pratiques
d’intoxication venues du centre du pouvoir. Au final, dans les sources,
Richelieu l’emporte par l’évidence de l’utilité de son service comme s’il
n’avait pas entrepris une lutte à mort
pour s’imposer auprès du roi et auprès de nous, quatre siècles plus tard.
Cet essai, parfois complexe,
mérite une lecture attentive car il donne le meilleur de ce que le GRIHL
(Groupe interdisciplinaire sur l’histoire du littéraire) a pu nous apprendre
sur notre nécessaire distance avec les textes.
Références : Christian Jouhaud, Richelieu et l’écriture du pouvoir. Autour de la journée des Dupes, Paris, Gallimard, 2015
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